La ramification racinaire.

 Dimanche 5 Mars 2023


La ramification racinaire n’est pas un dispositif physiologique automatique, il est fonction de l’état hydraté ou non du sol traversé par la racine. Si le sol est imbibé d’eau il y aura ramification s’il est sec il n’y en aura pas. Où se passe l’ensemble du processus de ramification ? Quel est-il ? Comment a-t-il été étudié ? En simplifiant, nous allons en dévoiler les principales caractéristiques.

Les chercheurs* qui ont étudié ce sujet ont utilisé un dispositif astucieux qu’ils appellent « zéro ramification ». Ils font traverser les pointes racinaires en croissance issues de la germination de graines de tomate à travers une couche hydratée (solution nutritive solidifiée par de l’agar) inductrice de la ramification (zone 3 qui contiendra les ramifications anciennes) ; puis une zone vide inhibitrice dite « zéro ramification » (zone 2) ; enfin, plus bas, une couche hydratée à nouveau inductrice mais où commenceront à se faire de nouvelles ramifications. Le dispositif est réalisé dans des tubes à essais en verre de manière à pouvoir suivre le trajet des racines. Avec ce dispositif il va être possible d’observer les processus biochimiques qui se produisent lorsque la pointe racinaire traverse une zone sans eau (zone 2 vide).

Y a-t-il une phytohormone qui serait en jeux ? L’acide abscissique hormone de la chute des feuilles et de la dormance pourrait intervenir. En effet des mutants d’Arabidopsis ne synthétisant pas l’acide abscissique, fabriquent des ramifications dans la zone vide du dispositif zéro ramification. Cette phytohormone marquée par un bio marqueur fluorescent va être suivie dans les différents tissus de la pointe racinaire. Autre phytohormone : l’auxine, qui est à l’origine de l’initiation des nouveaux organes chez les plantes va être suivie par le même procédé. 

Lorsque la pointe racinaire traverse la zone 2 vide, il y a inversement du flux de l’eau. Ce flux, qui allait de l’extérieur vers l’intérieur (la racine par voie osmotique pompait l’eau en zone 3) va changer de sens, il ira de l’intérieur vers l’extérieur car la pointe racinaire privée d’eau se dessècherait ; elle fait donc appel à l’eau pompée qui descend par les vaisseaux du phloème et irrigue à partir du centre de la pointe racinaire (la stèle) les cellules périphériques. Ce changement de trajet du flux hydrique qui se fait en 8 heures, emmène avec lui de l’acide abscissique. En effet, si l’on quantifie les changements temporels de cette phyto auxine, on constate que sa teneur s’accroît dans les tissus épidermiques 12 heures après le stimulus zéro ramification.

Que fait l’acide abscissique dans ces tissus, il induit la fermeture réversible des plasmodesmes, pores présents à travers la paroi cellulaire squelettique par lesquels l’eau entre dans la cellule. Son arrivée   accroît les   dépôts de callose qui forment un anneau de chaque côté du plasmodesme. La fermeture des plasmodesmes a un autre effet, elle s’oppose à la migration, de l’épiderme vers le phloème, de l’auxine qui induit l’initiation des racines latérales. L’arrivée en zone 1 hydratée de la pointe racinaire principale va rétablir le flux hydrique allant de l’extérieur vers l’intérieur ce qui entraîne donc : baisse de la teneur en acide abscissique des tissus périphériques, ouverture des plasmodesmes, réalimentation du phloème en auxine et finalement reprise de la ramification racinaire. En définitive le processus de ramification racinaire est dû au déplacement dans le circuit d’eau de la pointe racinaire de deux phytohormones.

Cette démonstration expérimentale est remarquable, elle éclaircit un fonctionnement physiologique qui jusqu’ici nous échappait entièrement.

 

*Poonam Mhera et al., Science, 18 novembre 2022, N°6621, pp. 762-768.

 

Les fausses nouvelles en science.

Dimanche 5 Février 2023


Internet est plein de bonnes choses mais aussi plein de fausses nouvelles (fake news ou nouvelles truquées) qui circulent très vite, qui sont accessibles au plus grand nombre,  et qui peuvent être, lorsqu’il s’agit de la science, dangereuses. Nous sommes des non-initiés dans beaucoup de branches scientifiques et dans bien des cas nous dépendons de l’expertise des autres. Peut-on leur faire confiance ; notamment lorsqu’une information de nature scientifique circule sur internet est-elle vraie ou fausse ? Ce sujet a été abordé dans un article paru dans la revue Science* dons nous extrayons ici les principales idées.

Les exemples de fausses nouvelles scientifiques sont nombreux et repris dans des discussions où même les interlocuteurs sont d’un niveau culturel élevé. Par exemple : les changements climatiques actuels font partie des évolutions climatiques naturelles de notre planète et n’ont rien à voir avec les émissions de gaz à effet de serre dues aux combustions des carburants  fossiles ; les vaccins anti Covid peuvent donner de l’asthme ; les vaccins à A.R.N. messager ne sont pas des vaccins. De fausses nouvelles concernant des médicaments miracles sont encore plus fréquentes et peuvent avoir sur l’état de santé de patients non avertis, des effets désastreux.

Pourquoi accepte-t-on une fausse nouvelle ? Par paresse d’abord, il faut produire un effort pour aller contrôler  ce que la science dit sur le sujet. La fausse nouvelle peut conforter aussi l’idée que l’on se fait du monde ; elle nous situe parmi les réfractaires à des résultats scientifiques acquis mais qui souffrent de quelques exception. Plus fréquemment peut-être, c’est la méconnaissance  que l’on a du sujet qui est en cause parce qu’il ne nous a pas été enseigné, ou que nous en avons fait l’impasse au cours de nos études.

Il faut être un chercheur spécialiste de la question pour savoir si une publication scientifique nouvelle (qui peut faire l’objet d’une diffusion simplifiée dans les médias) est digne de confiance ou doit être rejetée parce que truquée ou erronée. Il fera intervenir sa connaissance personnelle  du sujet, mais aussi il vérifiera  que les règles qui contraignent la recherche ont été bien suivies : sources bibliographiques dignes de confiance, pas nécessairement favorables à l’idée que l’on veut démontrer, expérimentation rigoureuse et répétée, publication dans des revues à comité de lecture, etc. Il existe même des codifications de ces règles.

Pour le non initié, les questions qu’il peut se poser pour savoir si une information parue dans les médias est crédible  sont des questions de bon sens : la source d’information est-elle crédible ? Est-elle experte pour parler de ce sujet ?  Y-a-t-il un consensus entre les experts ?

Pour établir la crédibilité d’une nouvelle scientifique on s’assurera qu’il n’y a pas conflit d’intérêt (celui qui publie la nouvelle n’est-il pas intéressé par la vente d’un produit impliqué dans la publication ?), ni influence d’un parti pris politique. L’expertise sera plus difficile à établir : Qui publie la nouvelle ? Est-ce un organisme de recherche, un journal scientifique ou un inconnu qui n’est lié, en quoi que ce soit, à la recherche. Enfin en ce qui concerne le consensus, il est plus difficile à établir car au début, peu après la publication d’une nouvelle scientifique, peu d’experts se sont prononcés sur sa valeur. L’exemple le plus typique illustrant cette difficulté est celui du réchauffement climatique : est-il un fait réel lié aux émissions de gaz à effets de serre ou simplement une évolution naturelle du climat de notre planète. La responsabilité anthropique est majoritairement acceptée maintenant mais cela a pris beaucoup de temps.

 

*J. Osborne & D. Pimentel, Science 21 Octobre 2022, N°6617, pp. 246-248.    

 

Le gel et les plantes.

 Jeudi 5 Janvier 2023

Il faut d’abord distinguer deux catégories de gelées : les gelées de rayonnement ou gelées blanches et les gelées provoquées par une vague d’air froid ou gelées noires. Les premières sévissent généralement à la fin de l’automne et au printemps, les secondes sont des gelées d’hiver mais elles peuvent être tardives et dévastatrices au printemps.

La surface de la terre et les objets qui s’y trouvent perdent une partie de la chaleur qu’ils reçoivent du rayonnement solaire visible (lumière)  en émettant vers l’atmosphère des rayonnements invisibles (infrarouges); ils se refroidissent ainsi. La nuit, ne recevant plus le rayonnement solaire leur température va baisser. Cette baisse est ralentie par les gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère qui piègent les rayons infrarouges émis. La vapeur d’eau est le plus efficace de ces gaz. Un ciel nuageux qui associe de l’eau à l’état gazeux (vapeur d’eau) et à l’état condensé (nuage) ralentit fortement le refroidissement du sol et des plantes, au contraire par temps clair en l’absence de nuages, le rayonnement infrarouge n’est plus retenu, le sol et les plantes se refroidissent, leur température superficielle va baisser jusqu’au point zéro. La vapeur d’eau qui subsistait dans l’air va ainsi se condenser donnant de la rosée et puis de la glace. Le sol, les plantes, les toits blanchissent c’est la gelée blanche.

Le processus de survenue d’une gelée noire n’est pas le même, il s’agit d’une masse d’air très froid provenant des pôles qui se déplace vers nos régions plus chaudes. La perte  de chaleur du sol et des plantes se fait vers la masse d’air froid qui s’écoule, elle est plus longue et leur température va baisser beaucoup plus bas.

Lors d’une gelée blanche les températures les plus basses sont situées  entre 0 et 80 cm au-dessus de la surface du sol, elles peuvent y atteindre -2 à -3°C. Plus haut les températures remontent et deviennent positives à 2 ou 3m au-dessus du sol. Il y a, de fait, une stratification de couches d’air froid en l’absence de vent. Ce n’est pas le cas pour une gelée noire, la masse d’air froid qui descend des pôles est homogène, la température y est généralement inférieure à -4°C et peut atteindre exceptionnellement -20°C. Les dégâts sur les plantes sont évidemment très différents d’un cas à l’autre.

Voyons d’abord comment agit le gel chez les végétaux. Les cristaux de glace apparaissent d’abord à la surface des organes de la plante dans l’eau de condensation ;  la glace va progresser ensuite vers l’intérieur dans les espaces intercellulaires des tissus et en dernier lieu cristalliser l’eau des cellules provoquant à la fois leur déshydratation et la rupture des structures. Les dégâts sont d’autant plus importants que l’organe concerné est riche en eau.  Notons ici que les écailles n’empêchent pas la température de baisser à l’intérieur des bourgeons, elles s’opposent à l’ensemencement, par la glace externe, de l’eau des organes internes (ébauche de bourgeons ou de fleurs). Le barrage des écailles maintient à l’état liquide l’eau tissulaire bien que les  températures y soit au-dessous de 0°C, c’est une surfusion.

Les gelées blanches, fréquentes en avril mai, n’affectent ni les plantes herbacées ni les plantes ligneuses de nos climats, elles sont adaptées, à cette période de l’année, à des   températures  de l’ordre de -2 à -3°C au niveau du sol. Seules les fleurs ou les jeunes bourgeons éclos de nos arbres fruitiers peuvent être détruits réduisant ainsi les récoltes. Les gelées noires sont beaucoup  plus graves. Si elles surviennent au printemps (avril, mai)  les bourgeons et les fleurs sont détruits dès que la température baisse en deçà de -4°C. En hiver les plantes herbacées ont leur partie aérienne « brulée » (les pelouses de montagne sont sèches), elles ne se reconstitueront qu’au printemps à partir d’ébauches de pousses qui apparaissent au niveau des racines que le sol a protégées du gel. Les plantes ligneuses (arbres et arbustes) adaptées à nos climats  peuvent résister à des températures de l’ordre de -15°C. Plus bas, les rameaux de l’année sont détruits, les écorces éclatent par grossissement des cristaux de glace, le bois se déshydrate et se dessèche ensuite. L’hiver glacial de 1956 (les températures y ont atteint selon les lieux -20°C) à détruit de nombreux arbres fruitiers, des pieds de vigne et probablement, en l’absence d’observations car sans intérêt économique, de nombreux arbres et arbustes sauvages.

On peut lutter contre les gelées blanches par un brassage de l’air qui mélange les couches froides près du sol avec les couches plus chaudes situées au-dessus de 2 mètres. On utilise à cet effet des ventilateurs de grande taille et même des hélicoptères dont les pales en mouvement vont mélanger les couches d’air. Le traitement des gelées noires est plus coûteux : chauffage de l’air, aspersion d’eau sur les plantes (l’eau qui se prend en glace sur la plante libère de la chaleur par baisse de sa température et par changement d’état), mise sous abris.               

La domestication de l'âne.

Lundi 5 Décembre 2022


L’âne (Equus asinus) animal domestique de trait et de portage a rendu d’éminents services dans nos pays avant l’invention des machines et continue à être utilisé dans les régions semi arides grâce à ses qualités d’endurance et de rusticité. S’il est devenu pour nous un animal de loisirs, son histoire nous intéresse parce qu’elle éclaire notre marche vers un accroissement de nos disponibilités énergétiques et une substitution de nos efforts par ceux d’une espèce animale.

Quand et où s’est faite la domestication de l’âne ? Un groupe de chercheur*, dans lequel figurent en bonne place des chercheurs français, s’est attaché à répondre à ces deux questions en utilisant des données archéologiques et des données génomiques par séquençage de l’ADN obtenu à partir de sources asiniennes diverses : 207 ânes modernes originaires de pays où cette espèce a été longtemps utilisée ; 31 ânes anciens provenant de restes trouvés dans des sites archéologiques (dans ce cas l’ADN partiellement dégradé doit faire l’objet d’une reconstitution) ; 17 onagres ou ânes sauvages d’origine africaine (Equus africanus) ou asiatique (Equus hemionus)

Les données archéologiques font état de présence d’ossements d’ânes dans des fouilles réalisées en Egypte à El Omari (4800 à 4500 AJC) et Maadi (4000 et 3800AJC) qui peuvent être interprétées comme appartenant à des animaux domestiqués. Des sculptures où sont représentés des ânes ont aussi été trouvées à Abydos en Libye. Ces éléments et d’autres, seraient en faveur d’une domestication de l’âne par des populations pastorales dans la zone qui s’étendrait de la Libye à la mer rouge aux environs de 5500 à 4500 ans AJC. Toutefois d’autres régions pourraient être à l’origine de la domestication de l’âne : le Yémen et la Mésopotamie.

Pour trancher le débat, les auteurs de l’article ont séquencé les génomes de 49 ânes modernes issus de régions sous représentées auxquels ils ont ajouté à 158 génomes déjà publiés pour créer une carte génomique des recombinaisons de l’espèce au niveau mondial. L’analyse en composantes principales de ces données montre un partage net entre les ânes d’Afrique et les ânes non africains. A l’intérieur du groupe africain existent deux sous classes : les ânes est africains (Ethiopie et Somalie) et les ânes ouest africains (Ghana Mauritanie et Nigeria). Les ânes non africains se divisent aussi en deux groupes les ânes européens et les ânes asiatiques.

A partir de l’analyse génomique réalisée sur ces ânes modernes, les auteurs concluent que les ânes de la corne d’Afrique représentent les descendants des premiers ânes domestiqués ; ils se seraient ensuite dispersés vers la péninsule arabique et l’Eurasie et sont revenus en Lybie et au Maghreb. Par ailleurs le séquençage d’anciens génomes, prélevés sur des ossements de 31 ânes exhumés de 11  sites archéologiques allant du Portugal à l’Asie Centrale, a montré une rapide dispersion de l’espèce domestiquée vers l’Asie alors qu’en direction de l’Europe, en dépit du fait que certains génomes présentent bien une proximité avec ceux de l’Afrique de l’ouest, de nombreux échanges sont intervenus au cours de la préhistoire et du moyen âge qui ont affecté plus fortement la source Afrique de l’Ouest.

Cette étude a permis de voir aussi que la domestication de l’âne n’a pas produit des niveaux de consanguinité plus élevés chez les ânes modernes que chez les anciens, ce qui n’est pas le cas chez le cheval. Enfin l’étude plus complète de restes asiniens trouvés  sur un site Romain (Boinville-en- Woëvre) affecté semble-t-il à l’élevage de reproducteurs, a montré que l’on y maintenait une lignée d’ânes de grande taille destinée à la production de mulets très utilisés par les armées romaines.

 

*Evelyn T. Todd et al. Science 9 septembre 2022, N°6611, pp.1172-1180  

Quelle surface de notre planète faudrait-il préserver pour un maintien satisfaisant de la biodiversité ?

Samedi 5 Novembre 2022


Nous avons déjà parlé de ce sujet et signalé les préconisations de la convention sur la diversité biologique d’Aichi au Japon (2010) qui estimait qu’il fallait que l’on réserve 17% de la surface de la planète (soit 25  millions de km2, surface de la terre 147 millions de km2 ) si l’on voulait maintenir cette biodiversité. Un article de la revue Science* revient sur ce sujet et donne des informations nouvelles plus précises.

Le choix d’une aire à conserver nécessite de définir des critères qui aiderons à rendre ce choix le plus pertinent possible. Plusieurs approches ont été proposées : retenir les aires en pondérant les espèces et écosystème qu’elles contiennent selon  leur endémicité et leur risque d’extinction ; retenir des aires sur la persistance globale de biodiversité  (aires clés), dans ce cas on s’attachera à la présence d’espèces ou d’écosystèmes menacés, ou de systèmes écologiques intacts rares ; retenir les aires encore intactes avant qu’elles ne soient dégradées. Selon les auteurs de l’étude ces critères utilisés séparément présentent des lacunes qui ne permettront pas un choix optimal des aires à conserver, leur projet est de les combiner dans un nouveau cadre global. Par ailleurs leur objectif n’est pas de désigner des « aires à conserver » car il existe, pour chaque aire, différentes stratégie de conservation des espèces et écosystèmes ; ils utilisent plutôt l’expression aires nécessitant une « attention à conserver ».

Les auteurs considèrent que 64,7millions de km2 (44% de la surface de la terre) nécessitent  une attention à conserver ; c’est bien au-delà des 17% de la convention d’Aichi. Cette surface englobe 35,1 millions de km2 d’aires écologiquement intactes, 20,5 millions de km2 d’aires protégées déjà existantes, 11,6 millions de km2 d’aires clés de biodiversité et 12,4 millions de km2 d’aires additionnelles nécessaires pour garantir la persistance d’espèces sur leur diversité minimale (notons que la somme de ces surfaces : 79,6 millions de km2, dépasse le chiffre proposé : 64,7 millions de km2, cela tient au fait que les aires qui ont été classées dans chaque catégorie se chevauchent partiellement).

Si 70,1% des zones qui nécessitant une attention à conserver sont actuellement intactes, les 29,9 % restantes ont des besoins de restauration, par ailleurs 2,2 millions de km2 situés dans les zones intactes sont susceptibles d’être converties d’ici 2050 en zones d’habitation ou d’intense activité humaine. Ces conversions sont variables d’un continent à l’autre et d’un pays à l’autre. Le continent africain serait le plus affecté (1,4 millions de km2). Les risques de conversion sont moindres en Océanie et en Amérique du Nord.

Un autre problème tient à la présence de populations humaines vivant déjà sur les zones intactes. Un quart des êtres humains (1,87 milliards d’individus) sont concernés, essentiellement en Afrique, Asie et Amérique centrale. La plupart de ces populations ont une économie émergente ce qui implique que les stratégies de conservation n’entravent pas leur développement économique. On ne peut plus protéger ces terres en déplaçant les populations indigènes, ce serait injuste et même impossible. Il faut reconnaître que ces populations ont montré, dans leurs pratiques coutumières, une autorité indiscutable pour la protection de la biodiversité, et qu’elles  doivent pouvoir se maintenir  sur leur terre et en garder la possession.

Sur les zones qui méritent "attention de protection", les créations de routes, le développement de l’agriculture, de l’activité forestière, ou de l’extraction de minerais doivent se faire précautionneusement en tenant compte des espèces qui y vivent et de la menace qui pèsent sur leur disparition. La pression humaine va s’accroître avec l’augmentation de la population et de la consommation, il faudra donc apprendre localement l’importance de la sauvegarde de la diversité biologique.

Une évaluation à haute résolution, à l’échelle spatiale fine à partir de cartes de végétations et d’écosystèmes devrait être l’étape logique suivante pour délimiter ces zones.

Que penser de tout cela ? Ce qui surprend d’abord c’est l’importance de la surface en « attention à conserver » : 44% de la surface de la planète (64,7 millions de km2) ! Certes une grande partie de ces terres sont situées dans des zones encore intactes (35,1 millions de km2) mais il faut caser les 29,6 millions de km2 restants. En ce qui nous concerne, si l’on s’en tient aux propositions de cette publication, nous sommes encore bien au-dessous des surfaces qu’il faudra protéger. Comment affecter de nouvelles terres à la sauvegarde de la biodiversité sans réduire l’activité économique, ceci ne peut se faire qu’au détriment de la population humaine qui est toujours en croissance ? Il faudra consommer moins (pas uniquement pour se nourrir), et il y aura moins de travail. Ce sera donc un appauvrissement général. On peut atténuer ces perspectives négatives par une éducation à la protection du milieu naturel, par des projets d’artificialisation plus raisonnables qui tiennent compte du monde vivant qui nous entoure.

* James R. Allan et al. Science 3 juin 2022, N°6597, pp. 1094-1106.

 

L'eau dans le sol

 

Mercredi 5 Octobre 2022

Lorsque vous arrosez une plante en pot, vous observez que le sol ne retient pas toute l’eau que vous lui donnez puisque une certaine quantité va se retrouver dans l’assiette que vous mainteniez à la base du pot ; cette eau qui s’écoule est l’eau gravitationnelle, elle ne sera pas utile à la plante. L’eau utile à la plante est retenue par le sol. C’est une eau qui adhère par capillarité aux particules du sol ou qui est accrochée par cohésion à l’eau de capillarité. La quantité d’eau totale qui reste dans le sol représente la capacité de rétention du sol. Cette capacité dépend de la taille des éléments qui constituent le sol. Un sol dont la taille des particules est majoritairement petite (sol argileux ou limoneux) a une texture à surface relativement grande et donc retient une grande quantité d’eau mais l’eau de cohésion, faiblement retenue, y est peu importante. Un sol dont la taille des particules est majoritairement grande  (sol sableux) a une texture  à surface relativement petite et de grands interstices, elle retient une quantité d’eau moindre mais l’eau de cohésion, faiblement retenue, y est en plus grande quantité.

Les racines des plantes récupèrent l’eau du sol par osmose. Tant que la pression osmotique à l’intérieur des cellules des racines est supérieure à celle de l’eau interstitielle du sol, la plante absorbe de l’eau ; mais à mesure que l’eau de cohésion disparait, il va être de plus en plus difficile d’accéder à l’eau de capillarité. Il vient donc le moment où, bien qu’il reste encore de l’eau dans le sol, la plante ne peut plus l’utiliser, c’est le point de flétrissement. Ce point de flétrissement dépend de la structure physique des sols, les sols sableux à grosses particules donc à petite surface contiennent beaucoup  d’eau de cohésion et retiennent peu d’eau au point de flétrissement ; les sols argilo limoneux à petite particules et donc à grande surface contiennent peu d’eau de cohésion et gardent beaucoup d’eau au point de flétrissement. Le point de flétrissement dépend aussi des plantes qui peuvent ajuster leur pression osmotique racinaire ; une plante grasse par exemple est adaptée à des zones désertiques où la teneur en eau des sols peut devenir très faible. En définitive un sol dont les éléments fins coexistent avec des éléments grossiers est le plus apte, dans la durée, à fournir à la plante une quantité d’eau régulière. On appelle ces sols des terres franches.

L’eau du sol fournit à la plante les éléments qu’elle a dissous et qui proviennent essentiellement de la roche mère environnante. Certains sont indispensables à la plante car ils entrent en quantités notables dans sa constitution. Ces nutriments sont l’azote, le phosphore, le soufre, le potassium, le calcium, le magnésium et le fer. Ils sont absorbés sous forme d’ions (NO3- et NH4+ pour l’azote, PO43- pour le phosphore etc.). D’autres interviennent dans l’alimentation des plantes en quantités infimes : le bore, le cuivre, le zinc et le molybdène et le sélénium, ce sont des éléments traces. Enfin certains peuvent être toxiques comme le sodium, le chlore, l’aluminium. En culture hydroponique, de plus en plus utilisée en horticulture, on se contente de dissoudre dans l’eau d’irrigation les nutriments et les éléments traces nécessaires à la plante, ce sont les engrais dont nous avons si peur.

Devenir des espèces marines sous l'effet du réchauffement climatique.

 

Vendredi 5 Août 2022

Les effets du réchauffement climatique ne sont pas perçus encore comme la cause de la disparition d’espèces à la surface de la terre, c’est l’action humaine directe qui est à l’origine de ces disparitions. On peut se demander toutefois ce qu’il pourrait advenir si la température continuait de croître, du fait des émissions de gaz à effet de serre, dans les milieux océaniques où la température régule notamment la teneur en oxygène de l’eau. Des chercheurs* ont analysé cette situation et modélisé ce qui pourrait advenir des espèces vivant dans les océans dans le cas où la température des eaux s’y élèverait au-delà des limites actuelles.

La teneur en oxygène de l’eau décroit avec l’augmentation des températures (il existe d’ailleurs des tables qui donnent cette teneur maximale en fonction de sa température). Chaque espèce vivant dans l’eau a des besoins en oxygène particuliers ; ainsi la truite affectionne les eaux fortement oxygénées de montagne où l’eau est froide et agitée par un courant sinueux coupé de cascades. Elle ne survit pas dans l’eau stagnante peu aérée. La teneur en oxygène des eaux océaniques détermine ainsi la répartition des espèces marines, si d’autres facteurs jouent évidemment comme le pH ou la disponibilité alimentaire, ils ne sont pas décisifs. C’est pourquoi on peut établir des modèles d’évolution des populations marines en tenant compte seulement de la variation des températures de l’eau qui découle de la température aérienne.

Un modèle a été établi, calibré sur les conditions thermiques qui ont sévi au cours de  l’extinction de masse de la fin du Permien. Il retrace les tendances multi centenaires du réchauffement global et  l’évolution future de celui-ci en fonction d’émissions anthropogéniques hautes ou basses de gaz à effets de serre sur les 300 prochaines années. La diversité marine globale est représentée par une série simulée (types éco physiologiques) de 104 espèces marines définies par leur tolérance thermique et leur résistance à l’hypoxie. L’habitabilité d’une zone océanique exige que les conditions s’y maintiennent à l’intérieur des tolérances physiologiques des espèces qui y vivent. Ainsi l’augmentation de la température de l’eau va provoquer une diminution de sa teneur en oxygène qui, en-deçà d’un certain seuil, provoque l’éradication de l’espèce.

On peut distinguer, selon l’intensité du réchauffement climatique, des extinctions locales ou comme à la fin du permien des extinctions globales. Si les émissions de gaz à effet de serre entraînent à la fin du siècle un réchauffement climatique de l’ordre de 1,9°C les pertes resteront dans les limites actuelles. Si le réchauffement de l’air voisinait 5°C, les pertes seraient très élevées localement ; en effet des habitats océaniques froids des pôles disparaîtraient pour les espèces adaptées au froid ce qui entraînerait leur disparition définitive n’ayant pas de possibilité d’immigrer vers des zones océaniques nouvelles correspondantes à leurs besoins ; en revanche les espèces équatoriales auraient la possibilité d’immigrer vers le tropiques elles pourraient ainsi se maintenir. En extrapolant une augmentation continue des températures jusqu’ en 2300, où elles pourraient dépasser 10°C, la disparition des espèces marines serait comparable à celle de la fin du permien car il n’y aurait plus de zone océanique accueillante. Les mers seraient peu à peu vidées de toute espèce de poisson.

Nous commençons à voir les effets du réchauffement climatique sur le monde marin avec l’apparition dans nos mers de climat tempéré d’espèces qui y étaient rares comme les méduses. Ces mouvements correspondent déjà aux premiers stades de ce que deviendront nos mers si la température de la surface de la terre continue de croître.

 

*Justus L. Penn et Curtis Deutsch. Science 29 avril 2022, N°6592, pp.524-526.  

L'émotion animale

Mercredi 6 Juillet 2022


La prise en compte morale de la douleur animale est récente. Il a fallu progresser dans la neurophysiologie pour comprendre que la sensibilité n’était pas réservée à l’espèce humaine mais qu’elle était présente chez les animaux proches de l’homme et d’une certaine manière chez les poissons et les crustacés. A partir d’un article* de la revue Science nous allons suivre la progression de la connaissance sur ce sujet.

On est parti de loin puisque, jusqu’en 1980, on pensait encore que la non expression verbale d’un ressenti (apanage de l’être humain) signifiait absence de ressenti ; les très jeunes enfants qui ne parlaient pas encore étaient donc insensibles à la douleur et de ce fait on pouvait les opérer sans anesthésie!

Pour tenir compte de la sensibilité (notamment à la douleur) des animaux proches de l’homme (mammifères),  il a fallu séparer le ressenti de l’émotion. Le ressenti est un état conscient personnel qui n’est pas perceptible extérieurement et donc inaccessible à l’expérimentation ; l’espèce humaine grâce au langage peut faire état du ressenti ce qui n’est pas le cas des animaux. Les émotions au contraire sont mesurables physiologiquement ou au niveau neuronal. Le visage, chez l’homme, traduit les émotions par des contractions musculaires spécifiques que l’on peut retrouver chez les chimpanzés. Les espèces plus éloignées vont manifester leurs émotions de manière différente et l’on a découvert par exemple que la peur se manifestait par un abaissement des températures des extrémités aussi bien chez le rat que chez les êtres humains. Les physiologistes peuvent aussi étudier chez l’animal les aires du cerveau qui sont affectées lorsqu’il ressent de la peur, de la colère, du dégoût ou de l’attraction.

Les outils d’évaluation des réponses émotives se sont améliorés. Les chercheurs modifient l’environnement de l’animal : riche versus pauvre ou agité versus calme. Ils entraînent l’animal à ces stimuli extrêmes puis le placent dans un environnement ambigu, moyen. Ils peuvent alors juger l’approche optimiste ou pessimiste du stimulus par l’animal. On a ainsi montré que les environnements pauvres affectent négativement la vision du monde des mammifères et des oiseaux.

Les animaux sont particulièrement sensibles aux signes émotionnels de leurs congénères. Cela se traduit par des marques d’empathie au moyen de contacts corporels lorsqu’un de leur congénère est stressé. Il peut y avoir aussi des comportements synchronisés : Lorsqu’un individu du groupe a peur ou perçoit un danger tous les individus du groupe vont manifester de la peur et s’enfuir. Ces réponses seraient commandées par des mécanismes neuronaux.

Enfin, bien que l’on ne puisse démontrer que le ressenti des animaux supérieurs existe, leurs comportements émotionnels sont en faveur de son existence ; la science reconnait des similarités entre ces animaux supérieurs et l’espèce humaine en ce qui concerne la neurophysiologie, la connaissance, les émotions et le ressenti.

Qu’en est-il maintenant des poissons et plus éloignés encore des crustacés  (crabes, langoustes et homards). Pour ces derniers on a,  dans certains pays comme l’Angleterre, interdit de les plonger dans de l’eau bouillante en l’état vivant pour les cuisiner! On a très longtemps pensé  que la réaction qu’ils manifestaient à un choc agressif était nociceptive c’est-à-dire une réaction réflexe qui implique seulement le système nerveux périphérique (analogue à la réaction de retrait que nous manifestons  lorsqu’on touche un objet très chaud). Des expériences plus récentes ont montré cependant que poissons et crustacés ont une mémoire des expériences négatives et qu’ils évitent les lieux où ils ont subi ces expériences. Cette mémoire négative implique une décision prise au niveau du système nerveux supérieur.

Dès lors que nous reconnaissons que les animaux peuvent aussi avoir un ressenti (bien moins développé que le nôtre sans doute), ils ne peuvent être exclus, par convenance, de notre champ moral. Déjà des règles d’abattage ont été prescrites, et l’éducation au bien-être des animaux se développe mais on est loin encore d’un comportement général satisfaisant.

 

*Adam J. Kucharski et Cheryl Cohen, Science 25 mars 2022, N°6587, pp. 1349-1350                  

Les plantes et la sècheresse.

 

Lundi 6 Juin 2022

Tous les organismes vivants sont composés essentiellement d’eau. Cette eau est nécessaire à l’apport des nutriments, au fonctionnement du métabolisme, au maintien des structures internes, à l’élimination des déchets.  Ainsi les plantes récupèrent par leurs racines les éléments minéraux dissouts dans l’eau du sol, ces nutriments sont transportés grâce à l’eau dans les cellules où seront synthétisées les molécules constitutives des organes, l’eau sera éliminée au niveau des stomates par évaporation ou par sudation au niveau des nectaires ou des glandes sécrétrices. Le manque d’eau va affecter la nutrition, le métabolisme, les structures internes et à la limite la vie des plantes.

Au fur et à mesure qu’une période de sècheresse se développe nous observerons donc plusieurs phénomènes : chez les plantes herbacées, une fanaison des feuilles (phénomène encore réversible) et, si la sècheresse se prolonge, leur dessiccation et leur mort. La pelouse devient sèche, elle ne reverdira qu’après une pluie qui fera germer des graines présentes dans le sol non affectées par le manque d’eau ou induira la croissance de nouveaux bourgeons à l’aisselle du collet racinaire encore vivant. Chez les plantes ligneuses (arbres et arbustes), il y a dessiccation des feuilles et leur chute. La présence de lignine dans les rameaux et les troncs est une protection forte contre leur dessiccation, mais si la sècheresse persiste on observera une destruction des jeunes rameaux non encore totalement lignifiés et, sur les troncs, des lésions se manifestent par des méplats de l’écorce sous lesquels apparaissent le bois desséché. Ces lésions sont liées à l’échauffement produit par le rayonnement solaire sur le tronc, la chaleur n’y est plus évacuée par la montée de sève provenant de l’absorption racinaire. Non visibles à l’œil nu, peuvent aussi se créer dans les vaisseaux du bois des ruptures de la colonne de sève qui les rendent ensuite impropres à la conduction.

Les plantes (nous nous limiterons aux plantes de nos climats non xérophytes) ont acquis plusieurs défenses pour se protéger des variations climatiques. Il y a d’abord des dispositifs dits de régulation, ceux-ci ne nécessitent pas de changements morphologiques ou biochimiques. En ce qui concerne la déshydratation, le plus important est la fermeture des stomates qui intervient dès que la perte par évaporation à la surface des feuilles est supérieure à la fourniture d’eau par les racines. Au-delà de cette fermeture, la déshydratation de la feuille se fait par toute sa surface et aboutit à la fanaison qui est une perte de turgescence des feuilles et des jeunes rameaux. La fanaison est un phénomène réversible si la déshydratation tissulaire n’affecte pas l’intégrité des cellules. L’acclimatation est un autre dispositif réversible de protection des plantes aux variations du climat. Elle ne s’acquiert que lentement. Ainsi en période sèche, la cuticule, couche cireuse qui recouvre l’épiderme les feuilles et des fruits, s’épaissit ralentissant ainsi l’évaporation ; les tissus internes sont moins hydratés (penser à la différence entre une salade de serre et celle de plein champ) enfin la pilosité est plus dense (notamment chez les plantes dont les feuilles et les fruits sont à épiderme duveteux : pêches, Kiwis). En dernier lieu il existe des réponses irréversibles de type développemental. La plus remarquable, vis-à-vis de la sècheresse, est la capacité du système racinaire à explorer le sol. La vigne en est l’exemple le plus démonstratif, son système racinaire est capable de s’enfoncer très profondément dans le sol pour y puiser l’eau retenue dans les couches imperméables.    

La fusion nucléaire contrôlée est-elle en passe de réussir ?

Jeudi 5 Mai 2022

Comment obtenir une énergie, propre (n’émettant pas des gaz à effet de serre ni de déchets radioactifs) et qui est disponible indéfiniment? Seule la fusion nucléaire répond à ces exigences dans la mesure où elle peut être contrôlée. Dans une réaction de fusion deux noyaux d’atomes légers (deutérium et tritium par exemple) fusionnent pour donner un noyau plus lourd (hélium). Au cours de la fusion il y a perte de masse qui selon l’équation d’Einstein se transforme en énergie. Maitriser la réaction de fusion permettrait d’obtenir de l’énergie en quantité infinie.

La fusion ne peut avoir lieu que si les noyaux atomiques sont séparés de leur environnement électronique pour cela il faut chauffer les atomes a des températures très élevées de l’ordre de 150 millions de degrés on obtient ainsi un plasma dans lequel noyaux et électrons sont séparés. Les noyaux peuvent alors se percuter et, si la percussion est très forte, fusionner. On a tenté de réaliser ces fusions de deux manières les « mégajoules » et les « tokamaks ».

Dans les mégajoules on enferme les deux gaz deutérium et tritium dans une capsule de la taille d’un grain de maïs, et on soumet cette capsule à une impulsion simultanée du rayonnement de 150 à 200 lasers dont la somme de capacités énergétiques est proche de deux mégajoules. La capsule et donc les deux gaz qu’elle contient reçoivent un choc énergétique susceptible de provoquer la fusion de leurs noyaux.

Les tokamaks sont des enceintes de forme torique enveloppées par une grille de puissants aimants. Dans cette enceinte les gaz deutérium et tritium sont chauffés jusqu’à atteindre la phase plasma où noyaux et électrons sont séparés ; les aimants vont maintenir le plasma en forme d’anneau qui ne puisse toucher et fondre les parois du tokamak. Les noyaux confinés à l’intérieur du plasma vont pouvoir fusionner et produire à leur tour de l’énergie par perte de masse.

Jusqu’ici les dispositifs mégajoule et les tokamaks avaient échoué dans l’initiation d’une réaction de fusion. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; les deux dispositifs les plus avancés : le NIF (National Ignition Project) mégajoule Américain et le JET (Joint European Torus) le plus grand tokamak en fonctionnement actuel basé en Angleterre ont publié des résultats particulièrement encourageants.

Les chercheurs qui travaillent sur le mégajoule américain ont annoncé avoir produit, le 8 août de l’année dernière, une réaction de fusion délivrant une quantité d’énergie à la limite de celle apportée par le tir des lasers*. Un tir de 1,9 mégajoule a produit une fusion délivrant 1,35 mégajoule  ce qui s’est traduit par une flamme qui s’est propagée à l’intérieur de la minuscule chambre plasmatique. Les chercheurs espèrent atteindre une énergie de fusion supérieure à celle fournie par un tir de lasers en améliorant la taille de la chambre plasmatique et l’efficacité des tirs.

En 1997, le tokamak JET avait généré pendant 1,5 seconde, une pulsion énergétique qui avait atteint les deux tiers de la quantité de celle qui lui était fournie**. Mais les progrès restaient insignifiants et l’appareil posait de nombreux problèmes. Cela a d’ailleurs conduit à la réalisation d’ITER,  tokamak géant (20m de diamètre) en cours de construction à Cadarache, qui devrait permettre un meilleur confinement du plasma. En attendant les chercheurs du JET ne sont pas restés inactifs, ils ont augmenté la puissance des aimants, modifié le système de chauffage et remplacé les parois internes de la chambre de leur tokamak  de façon à se rapprocher le plus près du futur ITER. Le 21 décembre 2021 ils ont pu maintenir pendant 5 s deux isotopes de l’hydrogène (Tritium et Deutérium) à 150 millions de degrés et créer une réaction de fusion libérant une énergie de 59 mégajoules 2,5 fois plus que les 22 mégajoules qu’ils avaient obtenus il y a 20 ans. Ce succès est encourageant pour ITER qui devrait enfin atteindre un rendement supérieur à l’énergie qui est dépensée pour entretenir le plasma.

Une réaction de fusion entretenue et contrôlée semble maintenant du domaine du possible ; bientôt pourrons-nous peut-être disposer d’une source d’énergie propre en quantité illimitée.

*Daniel Clery, Science, vol.373, N°6557, P.841.

**Daniel Clery, Science, vol. 375, N° 6581, p.600.