Le paysage sonore des océans.

 Lundi 5 Avril 2021

 

Les sons se définissent par leur fréquence, leur amplitude et leur source. L’eau est un excellent support pour leur propagation ; ils s’y déplacent plus vite et plus loin que dans l’air ; ils sont perçus par de nombreuses espèces marines qui à leur tour peuvent émettre des sons. Il y a donc un paysage sonore naturel dans les océans qui a beaucoup changé avec l’activité humaine.

 

Nous résumons ici une revue bibliographique* qui fait le point sur les nombreuses études qui ont été réalisées sur les bruits marins et leurs effets sur le monde océanique vivant. Il nous semble que l’intérieur des mers est calme et silencieux et bien non, les eaux océaniques sont bruyantes, les bruits qui s’y créent ont plusieurs origines : les conditions atmosphérique, l’activité géologique « géophonie », l’activité biologique des espèces inféodées aux océans « biophonie » et enfin l’activité humaine « anthropophonie ».

 

Le vent qui souffle, les vagues qui se brisent, la pluie et la grêle qui tombent sur la mer créent dans l’eau un spectre sonore particulier. La géophonie est produite par les volcans sous-marins, les tremblements de terre, les sources thermales marines, ces sons émis par l’activité géologique ont une propagation vaste, leur spectre sonore est très large. Les animaux marins émettent intentionnellement des sons dont les fréquences sont généralement comprises entre 10 Hertz (infrasons) et 20 kilohertz (ultrasons). Cette biophonie est modulée en fréquence et amplitude ; elle peut-être émise en simples pulsations, en train de pulsations (appels de poissons) ou en phrases mélodiques (chants des baleines). A ces sons liés à des organes émetteurs s’ajoutent des bruits mécaniques liés à leur activité marine : chocs des nageoires qui renseignent sur la masse de l’animal, bruits de mastication etc.  

 

Les animaux marins ayant une perception auditive se distribuent depuis les invertébrés marins, poissons et reptiles sensibles aux basses fréquences, jusqu’aux cétacées capables de percevoir de hautes fréquences (au-delà de 200 kilohertz). Ils utilisent leur appareil auditif pour se guider dans leurs déplacements, la recherche de nourriture, la défense du territoire, la recherche sexuelle ou la parade nuptiale.

 

Jusqu’à la révolution industrielle, les océans et les mers n’ont connu que ce paysage sonore naturel avec le développement de l’activité humaine ce paysage sera de plus en plus pollué par l’anthropophonie. L’activité humaine est une source colossale de pollutions sonores des océans et des mers. La recherche pétrolière utilise des explosions marines dont les ondes réfléchies permettent d’établir si le sous-sol marin est susceptible de renfermer des poches de pétrole ou de gaz. La cartographie des fonds se fait en émettant des sons à très haute fréquence et en mesurant le temps de retour de leur écho. Les sous-marins se guident  avec des sonars. Mais l’antropophonie est surtout un sous-produit non intentionnel de l’activité humaine. Le bruit produit par les bateaux (essentiellement ondes à basse fréquence) sur les routes maritimes a été multiplié 32 fois en 50 ans. Avec moins de régularité tous les travaux sous-marins sont source de bruits : forages pétroliers, installation de plateformes pétrolières, mise en place d’éoliennes marines, dragages, travaux d’extension portuaires, création de digues, pêche à la dynamite etc.  Et par-dessus tout, les explosions produites par les guerres.

 

En quoi l’anthropophonie est-elle préjudiciable à la vie marine ? Au départ on s’est focalisé sur les effets des bruits intenses sur les mammifères marins (sonars, explosions marines) ; mais l’exposition chronique à l’anthropophonie est aussi préjudiciable. Les signaux sonores de la navigation sont devenus permanents sur de grands espaces sous-marins, ils interfèrent avec les signaux pouvant provenir d’appels de la même espèce ou de signaux indiquant la présence de prédateurs ou de proies. Ils affectent les déplacements, la recherche de nourriture, la socialisation, la communication et le repos chez les mammifères marins. Chez les jeunes poissons, ils atténuent leur comportement anti prédation ; chez les invertébrés ils ont un impact sur le lieu de leur nidification et sur leur développement.

 

Les animaux marins peuvent se prémunir des bruits marins par évitement ou en s’habituant à eux. Cela peut les entraîner à quitter des sites riches en nourritures, à s’accumuler dans des lieux où leur activité sera contrainte. Enfin l’habitude peut-être utile pour reconnaître les bateaux de pêche qui rejettent souvent à l’eau les prises non commercialisables et qui représentent une nourriture obtenue sans effort.

 

Cette revue bibliographique fait prendre conscience que même un milieu qui nous paraissait à l’abri de nos activités bruyantes est fortement pollué par elles. Il sera difficile de réduire cette pollution tant elle est vaste et en majorité sous-produit non intentionnel d’une activité qui nous est indispensable.

 

*C.M. Duarte t al. Science 5 février 2021, N°6529, pp. 583-593.




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